Le protagoniste est le personnage principal de ton récit. L’intérêt de faire une distinction, c’est que certains modes de narration peuvent brouiller les pistes. C’est notamment le cas lorsque le récit est écrit à la première personne, mais que le narrateur… n’est pas le protagoniste.
Quelques exemples? Les aventures de Sherlock Holmes sont racontées du point de vue du Dr. Watson. Les Hauts de Hurlevent ont deux narrateurs successifs : M. Lockwood, le locataire de Thrushcross Grange, puis Nelly, l’ancienne servante des Earnshaw. Or, aucun des deux n’est le protagoniste de l’histoire. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est écrit du point de vue de Scout, mais c’est son père, Atticus Finch, qui fait avancer l’action principale.
Ce qui définit le protagoniste, c’est donc non seulement sa présence dans le récit, mais aussi son agentivité. Il doit avoir un impact direct sur l’intrigue, et non se contenter d’observer ou de subir les évènements.
Réactif vs proactif
Il y a trois niveaux d’action qui peuvent caractériser un personnage :
- La passivité : c’est quand le personnage subit ce qui lui arrive, sans avoir de pouvoir dessus.
- La réactivité : le personnage agit, mais uniquement en réponse à ce qui se passe; il se sent contraint d’agir. Ses actions pâtissent alors souvent d’un manque de réflexion et de recul.
- La proactivité : le personnage prend une initiative qui lui est propre et qu’il assume. Il choisit ses actions, cette fois en toute liberté, et souvent avec plus de discernement.
Il est classique pour un protagoniste de passer de réactif à proactif au cours d’un roman. C’est ce qui sert à montrer son évolution : tant qu’il est réactif, il s’appuie sur des automatismes, des préjugés — c’est une excellente façon de les montrer sans avoir à les raconter — et, en général, il finit par s’en mordre les doigts. (La réactivité est aussi le propre d’un « héros malgré lui ».)
C’est cette expérience qui va le convaincre de changer. Il devient alors proactif : il embrasse son destin ou ses responsabilités, et ses actions peuvent enfin être alignées avec le problème qu’il essaie de résoudre.
La part de passivité, de réactivité et de proactivité d’un personnage va varier selon sa personnalité et l’histoire que tu veux raconter. Toutefois, si tu veux que la lectrice s’attache à ton protagoniste, qu’elle s’intéresse à son sort, tu dois limiter sa passivité et même sa réactivité.
De même, il devrait évoluer de passif à réactif à proactif, dans cet ordre (mais la phase passive n’est pas obligatoire, ni même, dans l’absolu, la phase réactive — toutefois, si tu as donné un conflit interne à ton protagoniste, celui-ci ne peut pas être uniquement proactif). Si tu le fais régresser de proactif à réactif, non seulement tu sapes la tension de ton récit, mais tu rends inaudible tout message que tu essaierais de transmettre.
Cela vaut aussi pour une évolution négative de ton protagoniste (voir Le Parrain).
Pourquoi un protagoniste actif est important
Le problème d’un personnage passif, c’est qu’il en devient transparent et interchangeable. Il n’est qu’un punching-ball pour l’histoire, et on ne parvient jamais à cerner sa personnalité, ce qui le rend unique et singulier. Par conséquent, on peut le plaindre, le prendre en pitié, mais on ne peut pas s’attacher à lui.
Même dans le cas où il est narrateur et nous fait part de ses commentaires et sentiments… Nous en avons déjà parlé, mais : les actions comptent plus que les mots.
À ce propos, un protagoniste trop passif ne peut pas non plus évoluer de façon progressive et convaincante. Le lecteur a besoin de voir la façon dont ses actions reflètent son évolution intérieure. Des passages d’introspection peuvent venir rationaliser, développer, expliquer ses actions, mais ils ne les remplacent pas.
Les causes d’un protagoniste trop passif
Un protagoniste qui n’a pas d’objectif clair est à risque de se contenter de subir les évènements. Ton personnage principal peut ne pas avoir de but bien défini au début du roman, mais, en principe, l’élément déclencheur de l’histoire doit changer cela.
Cela n’arrive pas forcément tout de suite : beaucoup de structures narratives contiennent un passage où le héros hésite entre rester là où il est et oser changer de trajectoire — cela symbolise également son conflit intérieur, son désir contre sa peur. Néanmoins, vers 20 à 25 % du texte au plus tard, ton protagoniste devrait avoir acquis un objectif clair, à la fois pour lui-même et pour le lecteur.
Attention : son objectif ne doit pas se contenter d’être annoncé. Encore faut-il que ses actions le reflètent! Certain·es auteur·ices donnent d’emblée à leur héros un objectif fort afin de lancer l’histoire, de causer l’élément déclencheur… puis semblent l’oublier dès qu’il n’est plus nécessaire à l’intrigue.
Enfin, mettre le protagoniste face à un choix évident le rendra toujours réactif plutôt que proactif. Par « choix évident », j’entends qu’en dépit des éventuels risques ou dommages collatéraux, l’une des options est clairement préférable à l’autre.
Ainsi, contrairement à ce que pensent beaucoup d’auteur·ices, « se sacrifier pour le bien commun » n’est pas un dilemme, mais bien un choix évident — à moins que le récit ait été spécifiquement construit autour de l’égoïsme du protagoniste (auquel cas, faire le choix du sacrifice sera la preuve de son évolution).
Conseils pratiques
Voici le secret pour rendre un protagoniste plus actif : ne change pas ses réactions (sauf si tu t’aperçois qu’il n’a vraiment pas un comportement cohérent), change les obstacles et les choix auxquels il est confronté. Si ça peut te rassurer, dans la plupart des cas où le protagoniste est trop passif, ce n’est pas un problème de personnage, mais d’intrigue.
Voici des façons d’amener ton protagoniste où tu veux, sans lui enlever pour autant sa capacité d’agir :
- Injecte plus d’incertitude dans ses choix. Peut-être que le résultat de chaque option est inconnu, et il doit assumer de prendre un risque quoi qu’il fasse? Ou peut-être que la situation lui a été présentée de façon partiale par un personnage secondaire en qui il ne peut avoir confiance? (Note : attention aux choix qui ont plus d’une dimension. Si le résultat d’une action est incertain par nature, mais que cette action est le seul choix moral possible, alors on reste dans le domaine du « choix évident ».)
- Fais-le échouer. Si tu veux montrer que ton protagoniste n’est pas parfait, pas tout-puissant, qu’il n’a pas toujours toutes les réponses, le rendre incapable d’agir n’est pas la bonne méthode. Mieux vaut qu’il agisse, se trompe et en subisse les conséquences. Ça ne veut pas non plus forcément dire « commettre une erreur stupide ». Parfois, on se trompe parce qu’on n’avait aucun moyen de savoir avant d’essayer. Parfois, c’est juste la faute à la malchance. Parfois, c’est parce que l’antagoniste était trop fort, que ton protagoniste doit encore s’améliorer pour pouvoir le battre — mais cet échec peut lui donner les clés d’un futur succès.
- Les conséquences de ses actes doivent être irréversibles. Une mésaventure qui finit par se résorber d’elle-même, ou par l’intervention providentielle d’un deus ex machina, ne fait pas avancer l’intrigue et annule toute leçon que le protagoniste pourrait en tirer. Soit la situation objective, soit le protagoniste lui-même — voire les deux — doit en ressortir changé pour toujours.
- Rends le choix personnel pour ton protagoniste. On en a parlé à propos des émotions : un dilemme aussi est toujours subjectif. Construis le conflit, l’alternative pour qu’ils aient un maximum d’impact sur ton protagoniste, pas sur n’importe qui. Par exemple : donne-lui le choix entre échouer à son travail de session et demander de l’aide à sa camarade de classe… qu’il a surprise en train de le critiquer dans son dos la semaine dernière. En d’autres termes, il s’agit d’amplifier les enjeux, et d’éviter ici aussi un « choix évident ».
- Complique les relations de cause à effet. Disons que l’action A cause la conséquence B. Souvent, pour obtenir B, l’auteur va forcer son protagoniste à faire, accepter ou subir A… en ne lui laissant pas le choix, ou pas un vrai choix. Alors qu’il pourrait aussi le laisser faire C, qui causera D, qui causera E, qui finira par causer B. Cette technique peut se combiner avec la première (incertitude quant au résultat de C, car la chaîne de cause à effet est trop complexe) et/ou avec la seconde (peut-être que le protagoniste cherchait justement à éviter B… mais il n’y parviendra pas).
- Assure-toi de donner à ton protagoniste un objectif qu’il va pouvoir poursuivre activement à travers tout le roman — et pas juste au début ou juste à la fin. Son objectif peut tout à fait changer en cours de route, si cela fait partie de son évolution interne. Mais ce changement ne peut pas être soudain, ni se faire au terme d’un long passage où il semble n’avoir plus d’objectif précis. L’évolution interne se traduit en actions via la dissonance cognitive : les actions alignées avec son ancien objectif vont être de plus en plus difficiles à mener. Il va aussi commencer à prendre des décisions qui préfigurent son objectif futur, mais très graduellement, et souvent avec réticence ou sous de faux prétextes.
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