Dans les épisodes précédents, nous avons parlé de marketing, de vente et de communication, et enfin du contenu du roman lui-même. Cependant, il n’y a pas que trois raisons possibles à l’insuccès d’un livre. Et je tenais à prendre tout un article pour le souligner.
Oui, je crois dans la valeur de mes analyses éditoriales, de mon expertise, et j’estime que nombre d’auteur·ices actuellement publié·es ou en recherche d’éditeur bénéficieraient d’une petite mise à niveau… ou, en tout cas, d’une remise en question.
Pour autant, je déteste le marketing qui se fonde sur la manipulation des peurs et des insécurités des potentiel·les client·es. Je ne cherche pas à te persuader que tu as forcément besoin de mes services maintenant… et encore moins à amplifier un éventuel manque de confiance en toi.
Aujourd’hui, nous allons parler de tout ce qui peut expliquer le flop d’un roman et qui ne dépend pas de nous.
Eh oui, c’est frustrant à reconnaître, mais on ne contrôle jamais à 100 % le destin de nos écrits. C’est frustrant, mais, ultimement, c’est aussi libérateur.
Déjà, ça ne veut pas dire que ça ne vaut pas la peine d’essayer ou de persévérer. Au contraire. Persévérer, c’est la seule chose qu’on peut faire quand on joue à un jeu de hasard. Si on ne gagne pas ce coup-ci, peut-être qu’on gagnera au prochain coup.
Toutefois, vu sous cet angle, on comprend qu’on a intérêt à ne pas trop investir — financièrement comme émotionnellement — sur un seul coup. Ne pas lui faire porter trop d’enjeux. Se ménager l’énergie et la motivation de continuer, même si on échoue.
Mais entrons un peu plus dans les détails de ce fameux hasard; car, comme d’habitude, mon but n’est pas que tu me prennes au mot, mais de partager avec toi les données dont je dispose et le raisonnement qui sous-tend mes positions.
S’inscrire dans une mode ou pas peut grandement influencer les ventes d’un roman.
En 2013, j’ai publié une romance contemporaine qui traitait d’une relation BDSM. Et la couverture ne laissait aucun doute à ce sujet. Je ne sais pas si tu te rappelles l’époque, mais, à la suite de l’explosion de Cinquante Nuances de Grey sur la scène littéraire, on était en plein dans la mode du BDSM — en romance, mais aussi en érotique pur.
Sortir un roman avec ce thème à ce moment-là, c’était un succès garanti. Le succès en question pouvait avoir plus ou moins d’ampleur, mais il y avait une telle avidité de la part d’un certain lectorat que celui-ci semblait prêt à acheter tout ce qui relevait du BDSM au format numérique.
L’année suivante, j’ai sorti la suite de ce roman. Même série, même branding, même comm’, mêmes avis positifs de ses premier·es lecteur·ices (ma ME s’étant développée entretemps, elle était même beaucoup plus reconnue, suivie par plus de personnes sur les réseaux, etc.). Mais ce n’était plus du BDSM.
Et les ventes ont été beaucoup, beaucoup moins bonnes.
Bien sûr, il s’agit d’un spectre : à un extrême, on a une mode à son plus fort, où toute sortie est un succès garanti; à l’autre, on a l’OLNI qui n’entre dans aucune case et casse tous les codes, qui va être, par essence, très difficile à vendre (surtout dans un écosystème comme celui d’Amazon, qui, comme je l’expliquais dans un précédent article, se fonde sur le big data).
Entre les deux, on va avoir un roman qui respecte les codes de base d’un genre, mais n’exploite aucun trope reconnu ou spécialement populaire. Chances de succès : moindres.
Mais on peut aussi avoir un roman qui, sans s’inscrire dans un courant très à la mode, exploite efficacement des tropes ultra-connus et aimés par un grand nombre de personnes (et qui, de ce fait, peuvent devenir des « clichés »). Chances de succès : bonnes.
On pourrait dire que cela dépend de nous, car il ne tient qu’à l’auteur·ice d’écrire un roman qui correspond à la mode actuelle. Il y a des écrivain·es qui y parviennent, et si c’est ton cas, tant mieux pour toi. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde… et ce n’est pas une question de talent ou de compétence.
Bien sûr, on peut toujours apprendre à mieux maîtriser les codes d’un genre, étudier ce qui fonctionne; mais c’est avant tout un hasard que le marché du moment récompense les goûts de ta voisine et pas les tiens, ou l’inverse.
Ce qu’on peut retenir, c’est que les modes changent et passent. Peut-être que la mode que tu attends finira par venir. (Ceux qui me connaissent savent que ça fait plus de dix ans que je bassine les gens avec la romance fantasy… Et ça y est, elle est là! C’est enfin l’heure de gloire de la romantasy.)
Au-delà des modes, il y a aussi l’influence du genre lui-même. Par exemple, la romance et le policier ont, d’emblée, un plus gros lectorat que le roman historique ou la science-fiction. Les recueils de nouvelles intéressent moins que les romans. La poésie, encore moins.
Et cela non plus ne dépend pas de nous, car on n’a aucun contrôle sur ces faits-là. On peut souhaiter que le marché soit différent, mais le souhaiter ne va pas le changer. On peut en prendre son parti et orienter sa production en conséquence… Mais alors, on se situe à l’échelle de la carrière, pas du roman. Décider de ne pas écrire un livre du tout, ce n’est pas un moyen de favoriser son succès!
Ensuite, on peut citer la compétition, l’état du monde et les saisons. Le succès d’un livre peut aussi être impacté par l’environnement dans lequel il sort. Plus il y a d’autres romans qui sortent exactement en même temps, plus il peut être difficile de s’imposer face à eux.
Et, inversement, il y a des périodes creuses où peut se mettre en place un cercle vicieux : si peu de livres sortent, les amateur·ices de livres vont prendre leurs distances avec l’actualité littéraire (puisqu’il ne s’y passe « rien »), et ne verront sans doute pas passer l’exception qui confirmera la règle. C’est le cas par exemple en juillet-août, où les maisons d’édition tournent traditionnellement au ralenti.
Enfin, ce qui se passe dans le monde, ou dans un pays donné, peut temporairement éloigner le public de la lecture. Que ce soit une actualité omniprésente, anxiogène, l’augmentation du coût de la vie… Seuls les plus dévoué·es seront d’humeur à aller dépenser leur argent dans des romans, à fortiori des romans écrits par des inconnu·es comme toi.
Voilà quelques exemples de phénomènes qu’on peut observer, étudier, et donc prévoir dans une certaine mesure. (Même si, dans le cas de l’actualité, en dehors des périodes réglées d’élections, c’est plutôt prévisible « à posteriori ».)
Hélas, ce n’est pas tout… Il y a aussi des caprices du marché qui, eux, ne répondent à aucune logique facilement identifiable. Je sais, on aimerait bien tout comprendre, tout contrôler… Mais je dois être honnête : parfois, ni moi ni personne ne savons pourquoi tel livre n’a pas fonctionné.
Parfois, un roman semble cocher toutes les cases du produit qui devrait bien se vendre… Et, malgré tout, ses résultats sont décevants. Heureusement, ce n’est pas très courant. Mais ça arrive.
J’espère que je ne t’ai pas trop déprimé·e avec cet article! Ce n’est pas du tout mon objectif; j’aimerais au contraire que tu en retires la conviction que tout est possible, que le succès t’attend, mais aussi la lucidité d’admettre que cela peut être long, que ce n’est pas toujours linéaire (on peut connaître un échec après un succès, rien n’est jamais acquis) et que ce n’est jamais le reflet direct de tes efforts ni de ton talent.
Y vois-tu plus clair? As-tu un ou des romans dont les résultats t’ont déçu·e? À la lumière de mes quatre billets, quelles causes te semblent les plus probables, et peux-tu y faire quelque chose?
As-tu aimé cet article? Il s’agit d’une version légèrement remaniée d’une lettre que j’ai envoyée à mes abonné·es en 2023. Si tu aimerais recevoir mes prochaines réflexions dans ta boîte aux lettres, inscris-toi à mon infolettre! (formulaire d’inscription en bas de la page)