Show, don’t tell

En anglais, cela signifie littéralement : « montre, ne raconte pas ». C’est un concept qui peut paraître vaste et flou, car il regroupe en réalité plusieurs techniques. Cependant, son intérêt est indéniable. En montrant plus et en racontant moins, tu vas :

  • automatiquement couper dans l’exposition,
  • rendre tes personnages plus uniques, plus mémorables et plus cohérents,
  • immerger et captiver davantage tes lecteur·ices.

Autant dire que, dans le marché saturé d’aujourd’hui, tu ne peux pas t’en passer…

La mise en situation

La première technique que l’on retrouve sous l’expression parapluie « show, don’t tell », c’est celle que j’ai brièvement décrite à la fin du dernier article : elle consiste à remplacer une explication — ou une affirmation — par une scène active qui illustre ou démontre les faits en question.

Par exemple, plutôt que de nous raconter que l’héroïne est enseignante, pourquoi ne pas nous la présenter directement sur son lieu de travail, face à une classe? Mieux encore — mais je développerai cela avec la seconde technique —, plutôt que de nous dire qu’elle est une enseignante inexpérimentée, ou passionnée, ou sévère… laisse la scène entre elle et ses élèves nous le montrer à travers une interaction concrète.

Plutôt que de nous raconter que le héros vit à New York, montre-nous-le en train de faire quelque chose dans ou près d’un lieu que ta lectrice reconnaîtra : le pont de Brooklyn, la statue de la Liberté, Manhattan, Times Square, Grand Central… (Bien sûr, si tu veux éviter les clichés, trouve quelque chose de plus original et lié à ton personnage.)

Plutôt que de nous raconter que ton héroïne vit seule avec sa petite sœur qui va encore au lycée, montre-nous leur routine matinale, ou celle du soir quand la sœur revient de l’école. Leur dialogue, leur réactions suffiront à peindre le tableau.

Comme je l’ai précisé dans le chapitre précédent, mieux vaut toutefois que ces scènes d’exposition aient un intérêt en plus de servir à l’exposition : montre-nous au moins un début de conflit qui sera développé ou résolu plus tard dans l’intrigue.

Après tout, aucune exposition ne doit être gratuite! Si le fait que l’héroïne est enseignante, ou qu’elle vit seule avec sa sœur mineure, ou que le héros habite à New York n’a aucun impact sur l’intrigue… alors, il est temps de s’interroger sur la pertinence même de ce choix. Ou de créer cet impact qui manque à ton récit.

Les actes en disent plus long que les mots

La deuxième technique consiste à décrire par des actions spécifiques, plutôt que par des adjectifs ou des généralités, la personnalité et les émotions de tes personnages.

Elle ressemble à la précédente, en ce qu’il s’agit par exemple de montrer par son comportement concret que ton héroïne est timide ou courageuse, plutôt que de nous le dire.

Mais, pour le coup, cela a encore plus de valeur : le bénéfice n’est alors plus seulement d’éviter l’exposition; c’est aussi de rendre la personnalité de ton personnage plus réelle et plus convaincante.

Si tu aimes faire des fiches personnages, alors, tu vas devoir faire un effort durant l’écriture pour aller au-delà de l’image que tu as de ton personnage, et te demander pour chaque scène : comment son caractère peut-il transparaître dans cette scène précise? Comment serait-il cohérent qu’il réagisse?

Si tu ne fais pas de fiches, laisse tes personnages te montrer leur personnalité à travers leurs actions avant de prononcer des jugements hâtifs. Parfois, ils nous surprennent… Dans ce cas, il faut les écouter, car, si tu cherches à tout prix à imposer une interprétation qui ne correspond pas à leurs actions, tes lecteurs n’y croiront pas.

La personnalité est liée à la fois aux préférences et aux émotions. Et les émotions peuvent également être montrées, plutôt que racontées. Un exemple qui est devenu un cliché, c’est le fait de rougir quand on est gêné. Dire que quelqu’un rougit, c’est montrer. Dire que quelqu’un est gêné, c’est raconter.

Ça, c’est le principe. Dans la pratique, c’est plus compliqué. Et j’aimerais tout d’abord te mettre en garde contre l’idée qu’il faudrait toujours éviter de raconter/de nommer les émotions (ou quoi que ce soit, à vrai dire). Tout comme les répétitions, c’est plus une question de dosage et de créativité. On ne veut pas supprimer une faiblesse pour tomber dans un autre écueil.

En l’occurrence, l’autre écueil, ce serait de remplacer les noms d’émotions par des comportements tout faits. Par exemple, quelqu’un qui est en colère crie et serre les poings. Quelqu’un qui est triste pleure. Quelqu’un qui a peur a des sueurs froides et tremble.

Chaque personne exprime ses émotions différemment. Par conséquent, chaque personnage aussi. Retourne toujours à leur personnalité et au contexte — la même personne osera s’emporter face à son frère, mais pas forcément face à son patron…

En fait, saisis l’occasion de cette émotion pour nous démontrer qui il est : est-ce quelqu’un qui s’énerve lorsqu’il est contrarié, ou qui garde son sang-froid? Quelqu’un d’hypersensible qui ressent les émotions de façon très forte, ou quelqu’un qui ne se laisse pas facilement atteindre? Dans ces deux exemples, le personnage qui est dans le second cas a peu de chance de serrer les poings ou d’avoir des sueurs froides. Ça ne veut pas dire qu’il ne ressent ni colère ni peur.

Le point de vue interne

On arrive à la technique qui est le moins souvent citée lorsqu’on parle de « show, don’t tell ». Sans doute parce que le point de vue est un sujet vaste et complexe, qui dépasse d’ailleurs largement la problématique de montrer et de raconter. C’est une question transversale, en quelque sorte.

Juste pour m’assurer que l’on sait de quoi on parle, quelques rappels : un récit peut avoir un point de vue interne, externe ou omniscient. Et quand je dis « un point de vue interne », en réalité, il peut avoir plus qu’un seul point de vue interne (c’est le cas des points de vue alternés et des romans dits choraux).

Le point de vue externe est très rare, et le point de vue omniscient se raréfie, surtout dans la littérature commerciale. De nos jours, les lecteur·ices préfèrent être dans la tête des personnages, plutôt que d’avoir un point de vue surplombant qui juge et commente les uns et les autres.

Si tu écris à la première personne (au « je »), il s’agit d’un point de vue interne, celui du personnage qui dit « je ». Mais il est également possible d’écrire un point de vue interne à la troisième personne.

Si tu utilises un point de vue omniscient, tu peux faire un peu ce que tu veux. L’une des raisons pour lesquelles c’est un mode de narration désaffecté, c’est justement qu’il a tendance à favoriser le fait de raconter, plutôt que de montrer (donc, l’inverse de tout ce que je viens de te recommander…).

En revanche, si tu utilises le point de vue interne, ce point de vue devient une technique à part entière pour montrer au lieu de raconter.

Le point de vue interne signifie que tu reproduis les pensées et les perceptions de ton personnage de point de vue. Évidemment, c’est un artifice; il s’agit en effet de mettre en mots, dans une prose claire et agréable, des pensées ou des perceptions qui peuvent être, dans la tête du personnage, très confuses, voire pré-verbales.

Tu as donc une latitude d’écrivain pour t’éloigner de ses pensées littérales. Cela dit, ce que tu ne dois pas faire, c’est évoquer quelque chose à quoi le personnage ne pense pas du tout — soit parce qu’il l’ignore, soit qu’il n’en a pas conscience ou qu’il ne s’y intéresse pas. Si tu fais cela, tu sors de son point de vue, que tu sois à la première ou troisième personne. Cela créera une dissonance qui va causer une rupture dans l’expérience de lecture.

Je retourne un instant à l’exposition : c’est pour cette raison, par exemple, que tu ne peux pas décrire le fonctionnement de la machine que ton héros utilise, si ce dernier l’ignore ou n’y accorde aucune attention. Par contre, tu peux insérer des tranches d’exposition dont ton héros a conscience sur le moment : tu peux mentionner que c’est la machine qu’il utilise tous les matins, si c’est la raison pour laquelle il l’utilise dans cette scène précise. Car, dans ce cas, c’est un fait, une connaissance qui a dû être activée dans son cerveau, même une demi-seconde, pour qu’il puisse effectuer l’action en cours.

De retour à « show, don’t tell ». À première vue, les exigences du point de vue interne peuvent sembler contredire la dernière technique, celle de montrer les émotions via le comportement.

En effet, le comportement est quelque chose que l’on remarque surtout chez les autres. Nos mimiques, nos manies et notre langage corporel sont en partie inconscients et, par ailleurs, on ne sait pas exactement à quoi ils ressemblent. Tu peux décrire une action du personnage de point de vue à travers son intention, mais pas l’impression qu’elle donne de l’extérieur. Pour ça, il faudrait qu’il se trouve devant un miroir.

C’est pourquoi, si on s’en tient aux pensées du personnage, il est parfois plus authentique et « immersif » de nommer simplement l’émotion ressentie. Parce qu’on sait très bien quand on est en colère. Alors qu’on n’a pas forcément conscience des signes extérieurs par lesquels on la trahit (surtout si on n’est pas du genre très démonstratif).

Dans ces cas-là, certains signes intérieurs peuvent prendre le relais : le cœur qui bat, le ventre qui se tord, les papillons dans le ventre…

Mais il y a aussi une autre possibilité qui est souvent négligée : les pensées du personnage. En effet, une émotion est toujours subjective. Même si le personnage estime que « n’importe qui ressentirait cela dans une telle situation »… C’est juste sa rationalisation. L’histoire qu’il se raconte à lui-même pour comprendre, expliquer, justifier ses émotions. Et c’est cette histoire qui va créer l’immersion, la connexion émotionnelle entre le lecteur et le personnage.

Voici deux exemples :

Le parquet craqua une première fois. Puis une seconde. On aurait dit que quelqu’un marchait dans le couloir. Sauf qu’il n’y avait personne dans la maison… personne à part elle. Julie avait fermé les deux portes à clé avant de monter se coucher. Enfin… Un doute la saisit soudain. Est-ce qu’elle l’avait vraiment fait? Oh non… Elle avait beau fouiller dans sa mémoire, elle n’arrivait plus à s’en souvenir.

Julie a l’air d’avoir peur. Pourtant, je n’ai pas eu à le préciser. On le comprend d’après le cheminement de ses pensées, qui nous donnent les causes de sa peur.

— Espèce d’imbécile! s’écria-t-elle. J’arrive pas à croire que… que tu…

Elle ne put pas terminer sa phrase. Bon sang, comment était-ce possible? Elle lui avait pourtant dit et répété comment faire! Pourquoi n’était-il pas capable d’obéir à une consigne simple? Et, comme d’habitude, c’était sur elle que son erreur stupide allait retomber.

Là non plus, je n’ai pas mentionné une seule fois que le personnage est en colère. Mais tu l’as probablement deviné, parce que ses pensées sont celles d’une personne en colère, et elle donne plusieurs raisons à sa réaction : le sentiment de n’avoir pas été écoutée et l’injustice de payer pour les conséquences des actions d’autrui.

Guide-nous à travers les raisons, les causes d’une émotion, et nous la ressentirons automatiquement, sans même que tu aies à la nommer.

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